La loi du plus fort s’applique-t-elle aux relations B2B?

04 janvier 2022 | Contrats, Technologie de l'information

Les consommateurs sont depuis longtemps protégés contre le fournisseur « plus fort ». Toutefois, depuis décembre 2020,il existe également des règles plus strictes sur ce que les entreprises peuvent (et surtout: ne peuvent pas) convenir dans leurs contrats. Il est donc tout à fait possible que les modèles de contrats que votre entreprise utilise depuis des années, puissent être remis en question juridiquement.

Contrats B2B abusifs ou déséquilibrés

Les nouvelles règles s’appliquent à toutes les entreprises, quelle que soit la nature de leur activité ou leur taille, ainsi qu’à tous les contrats entre entreprises. Il ne s’agit pas seulement des conditions de facturation, ou des conditions générales de vente ou d’achat. De même, les arrangements dans les contrats informatiques, les accords de distribution, les contrats de construction ou plus généralement les contrats de service: ils tombent tous dans le champ d’application de la nouvelle réglementation.

Une chose est sûre: vos arrangements contractuels doivent être conformes à la nouvelle législation B2B. Les contrats doivent donc être rédigés de manière à ne pas contenir de clauses abusives ou disproportionnées. Cela évitera qu’ils soient annulés par un juge plus tard.

La liberté contractuelle restreinte?

La nouvelle loi B2B distingue trois catégories de clauses abusives. La loi prévoit une liste de « clauses noires », une liste de « clauses grises » et en plus, un principe général est introduit, qui stipule que les accords contractuels doivent avant tout être clairs et compréhensibles: les clauses « manifestement déséquilibrées » sont exclues.

Liste noire

La « liste noire » contient des accords qui sont en tout état de cause interdits et nuls. Ils ne peuvent pas être discutés et vous ne pouvez pas prouver le contraire. Plus précisément, il s’agit d’accords sur les points suivantes:

  • Vous faites dépendre l’exécution du contrat de votre propre volonté (ou préférence), tandis que l’autre partie reste liée;

Exemple: une entreprise établit une offre qui est acceptée par le client, mais dans vos conditions générales, vous indiquez que la commande n’est définitive qu’une fois approuvée par la direction.

  • Vous vous donnez le droit d’interpréter une partie du contrat (alors que l’autre partie n’a pas la même possibilité);

Exemple: les conditions générales stipulent que le contrat prend fin en cas de force majeure. Cependant, vous prévoyez également que vous êtes le seul à décider quand il y a un cas de force majeur.

  • Vous rendez impossible le recours à un juge (ou à un arbitrage) en cas de conflit;

Il s’agit par exemple de clauses dans lesquelles une partie contractante stipule qu’il ne sera plus possible d’intenter une action en justice après un certain délai; plus fort encore, de clauses qui stipulent que les litiges découlant de l’exécution du contrat ne peuvent en aucun cas être portés devant le tribunal compétent.

  • Lorsqu’une partie ne pouvait effectivement prendre connaissance des clauses du contrat qu’au moment de la conclusion du contrat;

Par exemple, une clause qui stipule que l’autre partie a accepté vos conditions générales, même si celles-ci n’ont pas été communiquées à cette autre partie avant la conclusion du contrat.

L’interdiction d’inclure de telles clauses noires n’est pas en soi un choc juridique: dans le passé, de telles clauses abusives étaient souvent déjà sanctionnées sur la base de principes juridiques généraux.

La probabilité que cette liste noire ait un impact significatif sur la liberté contractuelle entre entreprises semble donc plutôt faible. Néanmoins, de telles clauses devraient en tout cas être exclues des contrats ou des conditions générales.

Liste grise

La « liste grise » contient des accords dont on présume le caractère abusif (et qui sont donc interdits). Concrètement, il s’agit de nombreux accords différents que l’on retrouve souvent dans les contrats ou les conditions générales:

  • clauses de modifications unilatérales;

Exemple: une clause autorisant une partie contractante de modifier unilatéralement le prix de ses services en cours d’exécution,sans en donner les raisons.

  • la prolongation ou le renouvellement tacite d’un contrat sans délai raisonnable de résiliation;

Exemple: une clause des conditions générales d’un abonnement prévoyant le renouvellement automatique de l’abonnement sans possibilité de le résilier.

  • le renversement du risque économique sans contrepartie;

Par exemple: une clause stipulant que vous, en tant que fournisseur, devez supporter le risque de vol après la livraison du bien à l’acheteur, sans aucune contrepartie; ou une clause vous obligeant, en tant que fournisseur, à reprendre les produits invendus de votre distributeur, sans aucune compensation.

  • la limitation ou l’exclusion de façon inappropriée les droits légaux en cas de violation du contrat;

Exemple: une clause dans les conditions générales du prestataire de services qui stipule que le prestataire de services n’est pas, sans plus, responsable du non-fonctionnement de la solution technologique fournie.

  • l’exclusion d’un délai raisonnable de résiliation;

Exemple: un contrat à long terme dans lequel aucun délai ou aucun délai raisonnable n’est possible et où une partie « enferme » l’autre.

  • l’exclusion de responsabilité du fait de dol, la faute grave ou toute inexécution des engagements essentiels;

Exemple: une clause du contrat de service d’un architecte stipulant que son obligation légale de surveillance se limite à une visite périodique du chantier.

  • la limitation de l’utilisation des preuves;

Exemple: une clause stipulant qu’en cas de litige entre le prestataire de services et le client, seuls les documents émis par le prestataire de services peuvent être utilisés comme preuve contre lui (et donc que le client ne peut pas utiliser d’autres moyens de preuve pour se défendre).

  • clauses de dommages disproportionnés;

Exemple: une clause stipulant qu’une somme forfaitaire de 20% du montant de la facture impayée est due, cumulée avec un montant de 50 euros par rappel, ainsi que des intérêts moratoires. Une telle clause est illicite dans la mesure où l’indemnité dépasse clairement (« manifestement ») le préjudice réel subi par le fournisseur en question.

Cette liste grise introduit une présomption. Concrètement, cela signifie que le caractère potentiellement abusif de l’accord peut être réfuté. C’est alors à l’entreprise qui a inclus la clause dans ses conditions générales ou son contrat et qui en est donc bénéficiaire (ou espère l’être) de prouver que c’est bien conforme. La présomption peut également être réfutée si les deux entreprises peuvent démontrer qu’elles ont délibérément choisi d’inclure l’arrangement qui se cache derrière la clause « abusive » en question.

L’inclusion d’une « clause grise » dans les conditions générales de votre entreprise ne semble pas une bonne idée; cependant, une « clause grise » peut être maintenue si les parties peuvent prouver que la « clause grise » ne s’est pas glissée dans le contrat de manière unilatérale mais qu’elle est le résultat d’une consultation et d’un accord mutuels. Dans cette optique, il est certainement conseillé de documenter correctement la création de certaines clauses.

En plus, on peut également se demander si les parties contractantes peuvent se cacher derrière une « clause des quatre coins » (dans laquelle les parties contractantes indiquent que seul ce qui est écrit entre les « quatre coins de l’accord » compte réellement comme « convenu entre les parties »); probablement l’inclusion d’une telle clause n’aidera pas à réfuter la présomption.

Déséquilibre manifeste

Outre la liste noire et grise, la nouvelle loi B2B prévoit également le principe selon lequel les accords contractuels doivent être clairs et compréhensibles. En principe, tout accord qui crée un ‘déséquilibre manifeste’ entre les parties contractantes est abusif (et donc interdit). En outre, cela peut ressortir de la combinaison des accords – il ne doit pas s’agir d’une seule clause du contrat.

Ici aussi, nous pouvons nous demander si l’inclusion d’une « clause des quatre coins » est appropriée. En effet, lors de l’évaluation du caractère éventuellement « abusif » d’un contrat, un certain nombre de ‘conditions préalables’ du contrat peuvent être prises en compte. Par exemple, les pratiques commerciales en vigueur dans le secteur concerné ou d’autres conditions du contrat peuvent être prises en compte, ainsi que l’échange d’informations entre les parties.

Quelque chose de nouveau?

L’entrée en vigueur de la nouvelle loi B2B donne aux entreprises des munitions pour contester les clauses contractuelles déséquilibrées de l’autre partie. Au moins, des questions critiques peuvent être posées.

L’introduction d’une interdiction générale des accords « manifestement abusif » est un principe noble mais, d’un autre côté, ce n’est pas un changement juridique totalement inattendu. Au contraire, cette interdiction est conforme aux principes juridiques généraux déjà existants.

La liberté contractuelle reste la prémisse de la nouvelle loi B2B, mais les « normes ouvertes » de la « liste grise » et les conséquences potentiellement étendues de la « disposition générale » peuvent être source d’incertitude. L’impact de cette nouvelle législation n’est pas encore clair, près de cinq mois après son entrée en vigueur; en tout cas, il est important de surveiller comment les tribunaux interpréteront cet ensemble de règles.

Qu’est-ce que cela signifie pour votre entreprise?

En tant qu’entreprise, vous seriez en tout cas bien avisé d’examiner d’un œil critique vos conditions générales et vos modèles de contrat face à la nouvelle loi B2B.

En dehors de cet exercice, il est fortement recommandé de revoir régulièrement les conditions générales ou les modèles de contrats de votre entreprise et de vérifier s’ils sont toujours en adéquation avec votre modèle économique. Au cours de cet exercice, une attention suffisante doit certainement être accordée à la clarté et à la compréhensibilité de ce que vous avez écrit.

Les conditions générales de votre entreprise sont-elles suffisamment claires et compréhensibles? Voulez-vous être sûr que les conditions générales de votre entreprise passent le test de la nouvelle loi B2B?

Envoyez-nous vos questions ou préoccupations sans engagement à hallo@dejuristen.be. Notre équipe de spécialistes peut aider votre entreprise en procédant à un contrôle critique de vos contrats et/ou conditions générales et en les adaptant si nécessaire.

Rédigé par Sarah Dello, Senior Legal Advisor & IP/IT Chair deJuristen deJuristen, et Kris Seyen, Partner deJuristen.

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